• Romy©
  • Pensée #1

    Été 2024, Lisbonne, Bordeaux.
    « « je » est un autre », Arthur Rimbaud.
    Le terrain psychique est collectif. La pensée foisonne en chaos d'idées plus ou moins articulées et plus ou moins volontaires. Quand je pense, je suis témoin de séries d'accidents causés par l'encontre de la mémoire et de la perception. Croire que je suis ce que je pense ou que mes pensées sont de ma faute me précipite au grand effroi d'être, mais je sais qu'autrui y est présent, que mes pensées sont suggérées, ainsi je trouve le calme à me reculer de ma vie psychique. J'en suis locataire. Qui je suis se forme uniquement dans l'acte, par exemple dans la parole ou l'écriture, dans quelque geste, dans quelque action. L'être que je suis existe dans l'acte et la pensée constitue donc ma puissance.
    L'émotion est un acte et un mouvement. Je mobilise mes muscles faciaux afin de conduire ma pensée vers l'objet de mon attention. Ainsi prend forme la volonté dans la pensée. À l'inverse, dans un état d'atonie comme la fatigue ou la sédation, le terrain de la pensée devient brumeux et les idées arrivent de façon désarticulée. Cet espace psychique est nécessairement plein comme l'espace physique ignore le vide. J'ai souvent déprimé dans des états d'atonie en contemplant passivement mes pensées brumeuses. Je les trouvais impertinentes, idiotes, méchantes, dangereuses, et me demandais alors pourquoi étais-je si bête. Mais ces pensées venaient d'un terrain psychique collectif, de la société, d'un magasin d'informations reçues. En état d'immobilité, la voie de la pensée collective s'ouvre à moi. Et je prend le contrôle et j'exprime qui je suis dés lors que je mobilise un muscle accompagnant la pensée.
    Le labeur philosophique doit alors s'effectuer dans le geste et dans l'émotion. C'est bien le corps qui construit une pensée articulée. Ainsi calligraphie et chorégraphie, style et manière fondent ensemble l'oeuvre écrite comme voix et gestuelle fondent l'oeuvre orale. Écrivez avachis, votre texte s'affaissera, parlez déployé, votre discours s'ouvrira. Là, j'écris avachis. En état d'immobilité, la pensée prolifère comme une série d'écho de mes perceptions. Contemplez le phénomène de votre pensée. Respirez.

    Pensée #2

    Hiver 2025, Bordeaux.
    Parmi ces pensées vagues, ondulantes sur le sable mouvant de mon espace psychique, je rêve d'une république transitoire en quatre mendats dont la présidence, la gouvernance et l'hémicyle seraient réservés exclusivement aux citoyennes mères : pour rebattre les cartes, déstituer et imposer les pilleurs de la république, juger les violeurs, démenteler les réseaux patriarcauts, les systèmes pétro-sexo-raciaux, les réseaux pédophiles, les réseaux de proxénétistes afin d'inscire le code du travail du sexe dans la législation, ainsi que la révision philosophique de la Constitution dans une perspective féministe. Une chambre spéciale mixte paritaire multi-genre pourrait tempérer le pouvoir hémicyclique réparti selon le spectre du débat féministe contemporain qui s'étend du fémo-nationalisme essentialiste à l'anarcho-féminisme matérialsite.
    Cette pensée me vient et me quitte selon les marrées des émotions, de la révolte et de la résignation. Puis-je y croire ? Puis-je acter cette pensée par mon être ? L'incarnation de ce rêve me serait-elle permise ? Quand ? Quand agir ? Quand la précipitation de panique morale déverrouillerait la légitimité d'un telle revendicaiton ? Combien de temps, combien de silence, combien d'horreur attendre encore avant de s'autoriser de croire en ce rêve ?
    En attendant, Ô mes Soeurs, peu importe la nature de nos organes, veillons, couvons, sur ce sable mouvant, la maïeutique éternelle.

    Pensée #3

    Printemps 2025, Bordeaux.
    Corpus Papus
    L'âme ou l'esprit sont des mensonges. Le corps est la seule vie.
    Les concepts d'esprit et d'âme se sont construits par des légendes. Elles ont permis de combler un manque, meubler un vide, imaginer au delà du mystère du corps. Car la volonté de savoir conduit à sentir soi-même et sentir autrui. Les corps se répondent, se caressent, s'embrassent, se rencontrent, se violent, se tuent, se dissèquent, s'étudient, se conservent, se racontent. Les corps s'inventent des histoires, chantent, tissent, vibrent.
    Que sont ces globes ? Que sont ces poils ? Quelle est cette couleur ? Que sont ces ventricules ? Quelle est cette maudite cervelle intestineuse ? Qu'est-ce que ce miasme morbide ?
    La volonté de savoir conduit à tuer l'autre ou soi-même. Et ces accidents causent trop de manque, trop de vide, un mystère infernal : « Pourquoi ma volonté de savoir, qui fait battre mon cœur, fait-elle cesser de battre le tient ? Pourquoi mon amour te meurtri ? Pourquoi mon sang est-il empoisonné ? Ô misère ! Que l'existence est injuste ! ».
    Pour conjurer ce manque, ce vide, ce sentiment atroce de perte, les corps dansent, chantent, mangent, chient, vomissent leurs tripes, accouchent de monstres. Ils ont nommé, répété, torturé pour se transmettre leurs élucubrations : « ces yeux sont des joyaux, ces poils sont des herbes, ces ventricules sont des chœurs, cette cervelle est un soleil, ce miasme est un poison ». L'âme, l'esprit, la conscience, la psyché, le moi...sont des farces, des matériaux, des rituels. La misère et la violence règnent par cette ascèse, cette négation du corps, cet oubli, cette supercherie : la monade divine.
    Alors, pour la paix humaine, presque impossible, nous chuchotons, anonymes, que le corps est la seule vie, que l'amour est doux, que la solitude est libre, que les papus envolés sont le salut du pissenlit. Nous luttons contre notre volonté de savoir et, si nous y cédons, c'est à l'encontre de notre propre corps, notre unique propriété légitime, notre temple terrestre, notre atome, notre grain de poussière.
    La question qui point ainsi demande a contempler matière et lumière.

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